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Série sur les nouveaux enjeux économiques : L'ère où les grandes entreprises dominent le marché (LPL1-V08)

Description

Cet enregistrement d'événement porte sur la manière dont la nouvelle économie a donné lieu à la domination du marché des technologies par les grandes entreprises, ainsi que sur les répercussions de ce contrôle sur les particuliers et leurs décisions.

(Consultez la transcription pour le contenu en français.)

Durée : 01:16:37
Publié : 23 septembre 2021
Type : Vidéo

Événement : Série sur les nouveaux enjeux économiques : L'ère où les grandes entreprises dominent le marché


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Série sur les nouveaux enjeux économiques : L'ère où les grandes entreprises dominent le marché

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Transcription

Transcription : Série sur les nouveaux enjeux économiques : L'ère où les grandes entreprises dominent le marché

Jeanne Pratt : Bonjour. Bienvenue à la huitième séance de la Série sur les nouveaux enjeux économiques, créée en partenariat avec l'École de la fonction publique du Canada et le Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale. Je m'appelle Jeanne Pratt et j'animerai notre discussion d'aujourd'hui. Je suis la sous-commissaire principale du Bureau de la concurrence, organisme indépendant d'application de la loi qui administre et fait respecter la Loi sur la concurrence. Mon travail quotidien consiste à superviser une équipe dévouée de fonctionnaires qui enquêtent sur les pratiques et fusions anticoncurrentielles afin d'éviter aux Canadiens de payer des prix plus élevés et de leur offrir autant d'options d'aussi bonne qualité.

Notre discussion d'aujourd'hui porte sur un sujet auquel mes collègues et moi sommes confrontés chaque jour dans notre travail : les défis et les occasions que présente l'économie dynamique et axée sur les données. Si ce sujet était important avant la pandémie, l'accélération et l'adoption du numérique pendant celle-ci le rendent encore plus actuel que jamais.

Avant d'entamer notre discussion, voici quelques points d'ordre administratif. La traduction simultanée est offerte dans la langue de votre choix par l'entremise du portail. Des directives à cet effet de même que le texte d'exposé aujourd'hui vous ont été envoyés en même temps que le lien vers la webdiffusion. L'interprétation simultanée est offerte dans la langue de votre choix. Vous trouverez les instructions relatives au service d'interprétation dans le courriel que vous avez reçu après votre inscription à la conférence. Nous aurons une période de questions et réponses pendant les 30 dernières minutes de l'activité. Vous pouvez soumettre vos questions à tout moment pendant celle-ci en cliquant sur l'icône avec la personne levant la main dans le coin de votre écran.

Ceci étant dit, amorçons notre discussion. J'aimerais juste donner un peu de contexte avant de passer la parole à notre groupe d'experts. Les marchés numériques ont favorisé une innovation révolutionnaire qui a fondamentalement changé de nombreux secteurs, ainsi que la façon dont les consommateurs interagissent dans l'économie et la société et y participent. La plupart des perturbations ont stimulé la concurrence et l'innovation parmi les acteurs du marché, qui tentent d'utiliser les données et la technologie pour proposer un meilleur choix à un prix inférieur et pour mieux informer les consommateurs afin qu'ils puissent faire un choix plus éclairé.

Parallèlement, certains attributs des marchés numériques peuvent amplifier les problèmes liés à la concurrence. Lorsque les conditions le permettent, ces marchés pourraient avoir tendance à être contrôlés par une seule entreprise ou un petit groupe d'entreprises. Dans le monde de la concurrence, nous appelons ce phénomène le « basculement », qui survient le plus souvent lorsque les entreprises tirent profit d'une combinaison de trois choses : des effets de réseau importants, des économies d'échelle ou d'envergure, et d'un accès à de hauts volumes de données.

Que voulons-nous dire par « effets de réseau »? Ils se présentent lorsque la valeur ou les avantages pour un certain utilisateur dépendent du nombre total d'utilisateurs. Quand les effets de réseau sont importants, les marchés peuvent devenir concentrés, car les utilisateurs sont susceptibles de profiter d'une plus grande valeur lorsqu'ils sont plus nombreux. Cela pose alors un problème de la poule et de l'œuf pour les concurrents. Pour attirer les utilisateurs, les concurrents doivent présenter un grand intérêt, ce qui est impossible s'ils n'ont pas beaucoup d'utilisateurs. Un autre attribut clé de certains marchés numériques est le fait que les données sont un intrant essentiel. Les moteurs de recherche en sont un bon exemple. Ils sont plus susceptibles de produire de meilleurs résultats lorsqu'ils reçoivent beaucoup de requêtes sur des sujets différents. Cet avantage potentiel, ou cette boucle de rétroaction des utilisateurs, procuré par les données constitue l'une des façons dont une entreprise établie possédant beaucoup de données peut employer celles-ci pour obtenir un avantage concurrentiel. En tant que responsable de l'application des lois sur la concurrence, la perspective que des pratiques ou des fusions problématiques puissent entraîner des effets anticoncurrentiels plus rapides, plus importants et irréversibles en raison du basculement du marché m'empêche de dormir.

Certains affirment, à propos des pratiques problématiques, que les géants de la technologie agissent comme des « gardiens » qui peuvent exclure l'accès aux intrants essentiels et exercer une discrimination en faveur de leurs propres produits. Des inquiétudes ont également été soulevées quant au rachat d'entreprises en démarrage par des géants de la technologie afin de les empêcher de progresser avant qu'elles ne deviennent des menaces concurrentielles.

Nous appelons cette pratique des « acquisitions prédatrices ». Au Bureau de la concurrence, nous donnons la priorité aux questions numériques et investissons dans des outils pour soutenir une approche de détection et d'enquête fondée sur le renseignement, afin d'être aussi efficaces que possible avec les ressources limitées dont nous disposons pour détecter et contester les pratiques et les fusions problématiques, et enquêter sur celles-ci. Nous ne sommes pas les seuls à le faire. Au cours des cinq dernières années, le nombre d'enquêtes, de litiges et de sanctions administratives en matière de droit de la concurrence, qui totalisent plusieurs milliards de dollars dans le monde entier, a proliféré. Au Canada, nous avons mené des enquêtes importantes sur Google, Apple et Facebook, et d'autres enquêtes sur l'économie numérique sont en cours, ce qui occupe beaucoup notre personnel. Parallèlement, d'autres pays examinent attentivement si nos cadres de politique sur la concurrence existants sont à la hauteur de la tâche. L'Union européenne, l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis ont tous réalisé des études et des enquêtes approfondies qui ont débouché sur des recommandations visant à modifier ces cadres, en y apportant des changements allant de mineurs à fondamentaux. Nous n'avons pas encore eu ce débat sur la politique de la concurrence au Canada, mais nous suivons de près celui qui se déroule ailleurs.

Les questions clés qui font actuellement l'objet de ces débats consistent notamment à savoir quels problèmes pourraient ou devraient être abordés par la concurrence par rapport à d'autres instruments de politique. Comment le contenu, la parole ou la vie privée sont-ils reliés à la politique de la concurrence? Quelle sera la réponse du Canada à l'égard de ces enjeux? Comment les géants du numérique réagiront-ils à ces efforts? Les géants sont-ils trop importants et trop puissants pour être réglementés? Menaceront-ils de quitter le Canada comme ils l'ont fait dans d'autres pays tels que l'Australie?

Comme vous pouvez le constater, il y a beaucoup de questions et je n'ai pas de réponses, c'est pourquoi je suis très heureuse de vous présenter les trois experts qui apporteront tous des perspectives profondes et uniques à la discussion.

Tout d'abord, voici le professeur Christopher Yoo.

Il est titulaire de la chaire John H. Chestnut de droit, de communication, d'informatique et de sciences de l'information et directeur fondateur du Center for Technology, Innovation and Competition de l'Université de la Pennsylvanie. Ses projets de recherche actuels portent sur la comparaison des réponses américaines, européennes et chinoises à la responsabilité en matière de lois antitrust des plateformes de haute technologie.

Bienvenue, professeur Yoo.

Ensuite, veuillez accueillir Taylor Owen. Il est professeur agrégé à McGill et animateur de Big Tech with Taylor Owen. Il est titulaire de la chaire Beaverbrook en éthique, média et communication, et directeur du Centre pour les médias, la technologie et la démocratie à l'École de politiques publiques Max Bell de l'Université McGill. Bienvenue, professeur Owen.

La dernière, mais non la moindre, est l'experte canadienne du droit de la concurrence Melanie Aitken. Melanie est coprésidente du groupe de droit de la concurrence et de l'investissement étranger de Bennett Jones, et elle possède une vaste expérience du droit de la concurrence et des litiges acquise dans le secteur privé. Elle a également été avocate principale au ministère de la Justice et cadre supérieur au Bureau de la concurrence, notamment en tant que commissaire de la concurrence du Canada de 2009 à 2012. Bienvenue à vous tous. Pour commencer, j'aimerais demander à chacun de nos experts d'identifier certains des attributs clés des marchés numériques qui, selon eux, les distinguent des marchés traditionnels. Commençons par Mélanie.

Melanie Aitken : Merci beaucoup, Jeanne, et merci de m'avoir invitée à participer à cette séance vraiment intéressante. Je suis ravie d'être des vôtres. Lorsque nous parlons de marchés numériques, comme Jeanne nous l'a bien indiqué, nous parlons en réalité de marchés, que ce soit de biens, d'idées ou d'informations qui présentent des caractéristiques permettant aux actionnaires de monétiser la valeur demandée par les personnes qui recherchent ou qui vendent ces biens, idées ou informations. Les attributs clés auxquels Jeanne a fait référence correspondent à ces puissants effets de réseau, qui sont véritablement attribuables aux économies d'échelle ou d'envergure.

La manière la plus simple de voir les choses, comme Jeanne en a donné l'exemple, est que le moteur de recherche Google s'améliore au fur et à mesure que nous l'utilisons. Ce n'est pas pour rien que, lorsque nous nous inquiétons de la protection de la vie privée et que nous essayons Bing, nous revenons immédiatement à Google, car les résultats obtenus sont meilleurs plus le nombre d'utilisateurs est élevé. Il s'agit d'un avantage concurrentiel se perpétuant de lui-même qui découle des économies d'échelle ou d'envergure. Ces plateformes et ces marchés sont devenus des lieux incontournables. Le vendeur doit y être. Le consommateur veut y être. L'annonceur doit y être. C'est devenu quelque chose qui doit faire partie de leur monde.

Il en découle évidemment des conséquences. Les risques ont été décrits; je pense que Jeanne y a fait référence, ou à l'un des trois avantages. Il y a celui lié à la « porte d'entrée », à savoir la capacité de déterminer qui est admis ou exclu et de fixer les règles d'accès à votre plateforme et à votre marché. Un autre avantage consiste à tirer parti de sa situation. Il s'agit du concept que vous occupez une position dominante à un endroit et que vous êtes capable, dans un marché voisin ou une activité voisine, d'exercer cette position et d'en tirer parti, de manière à créer un autre domaine dans lequel vous pourriez être prédominant, potentiellement de façon permanente. Et enfin, il y a l'avantage d'exploiter l'information. Parce qu'ils recueillent toutes les données de consommateurs consentants, soit ceux qui ne sont pas nécessairement bien informés, mais qui sont consentants, les géants du numérique acquièrent un tas de capacités différentes leur permettant de créer des produits à vendre. Par exemple, s'ils vendent leurs produits en concurrence avec d'autres, ils peuvent faire en sorte que leurs produits soient plus attirants grâce à toutes ces informations. Les géants du numérique peuvent exploiter ces données d'une autre manière et les vendre d'une manière qui n'était pas prévue. Ils peuvent faire de la discrimination par les prix, apprendre à vous connaître et à connaître vos préférences, et apprendre à connaître votre point faible, ou votre limite.

Si cela vous intéresse, il existe un article très accessible de Lina Khan, de l'Université Columbia, intitulé « Sources of Tech Platform Power » (sources des pouvoirs des plateformes technologiques). Je le trouve très facile à lire. Je ne suis pas une grande adepte du numérique, loin de là. Je suis bien trop vieille et j'ai découvert cela trop tard. En fait, je trouve cet article très accessible en tant que consommateur.

Est-ce une bonne chose ou une mauvaise chose? Je ne suis pas nécessairement d'accord avec tout ce que l'auteure dit, mais je pense que c'est un article vraiment intéressant. Il résume ce qu'est le pouvoir de marché durable, soit l'idée que le pouvoir est si grand que peu importe les mesures que le responsable de l'application de la loi tente de mettre en œuvre, il ne pourra jamais le faire assez rapidement pour qu'un nouveau concurrent, aussi novateur soit-il, ne puisse jamais s'imposer. On encourage à avaler les rivaux. Actuellement, on valorise les acquisitions prédatrices auxquelles Jeanne a fait référence, ou l'idée qu'il faut payer une chose plus cher que ce qu'elle semble valoir. En fait, il se peut même que ces acquisitions ne permettent pas de faire de l'argent, mais qu'elles procurent l'avantage de ne pas avoir à traiter avec un concurrent. La vaste portée qu'ont les géants joue également un rôle. Ils vont dans des domaines très éloignés des effets concurrentiels, mais qui en ont aussi. Le problème par rapport à la transparence, c'est que les géants ne sont plus en concurrence pour le marché. Bien qu'ils aient pu être incroyablement novateurs pour arriver là où ils sont, ce que personne ne peut contester, il se peut que l'incitation à continuer à innover ait diminué. C'était juste une petite introduction de ma part.

Jeanne : Et de votre point de vue, Taylor, y a-t-il des attributs supplémentaires?

Taylor Owens : Oui. J'aimerais apporter un petit bémol; je ne suis aucunement un expert en politique de la concurrence comme les deux autres participants et vous-même, mais j'étudie l'écosystème numérique et, de plus en plus, le rôle que jouent certaines de ces grandes entreprises propriétaires de plateformes dans cet écosystème et la façon dont les gouvernements commencent à s'engager dans un discours politique ciblé sur ces entreprises et leurs attributs.

Si vous pensez à Internet maintenant, principalement à Internet dans les pays occidentaux (nous pouvons laisser de côté la Chine pour le moment), il y a également un élément de concurrence dans ce débat. En ce qui concerne Internet dans les pays occidentaux, la majeure partie du contenu et des activités économiques est filtrée par cinq entreprises. Quelques attributs de l'envergure de ces entreprises commencent à devenir de plus en plus évidents. Le pouvoir de marché est massif. En ce moment, quatre entreprises valent sept trillions de dollars. La capitalisation boursière a doublé au cours de la pandémie, ce qui montre une partie du défi que présente l'effet de réseau dont vous parlez. La valeur s'accumule dans ces quatre pays et ne s'étend pas à l'ensemble du marché. L'ampleur des activités de ces entreprises est sans précédent dans l'histoire.

À elle seule, Facebook traite 100 milliards d'éléments de contenus par jour. L'envergure des activités de chacune de ces grandes entreprises est stupéfiante. L'intégration verticale dans leurs modèles d'affaires et leurs sphères d'influence est de plus en plus importante, ce qui, selon moi, est probablement une préoccupation du point de vue de la concurrence. Si une entreprise touche toute une série de domaines différents et qu'elle utilise les monopoles de données qu'elle a pu acquérir dans un secteur pour les étendre à d'autres, cela crée clairement d'autres obstacles de concurrence également.

Du point de vue de la gouvernance, cela présente de réelles difficultés. Je vais juste en mentionner quelques-unes pour structurer ma pensée à ce sujet. La première est qu'il existe une réelle tension entre les programmes d'innovation des gouvernements et ceux de la concurrence, en particulier parce que le laisser-faire des gouvernements à l'égard de la croissance de ces entreprises est en partie la raison pour laquelle elles sont si grandes. Oui, elles ont fourni d'excellents services et ont été en mesure de se développer de manière vraiment novatrice, mais elles l'ont également fait dans un environnement réglementaire très permissif jusqu'à présent. Il est difficile pour les gouvernements de changer d'attitude du jour au lendemain et, par exemple, de commencer à élaborer des structures entièrement nouvelles pour la politique de la concurrence, lorsqu'ils ne l'ont jamais fait auparavant.

Deuxièmement, et il s'agit là d'un défi conceptuel, je pense que le débat tombe systématiquement dans le piège suivant : la position dominante sur le marché de chacune de ces entreprises est très différente. Même si nous considérons les géants du Web ou les entreprises propriétaires de plateformes comme une seule et même chose, la manière dont ils influencent les marchés est très différente entre eux. Amazon domine largement le marché de la vente en ligne. Google contrôle l'accès à la publicité qui entoure la recherche. Apple contrôle l'App Store et perçoit des rentes sur l'accès à celui-ci. Facebook a un monopole relatif sur notre structure sociale.

Elle est en mesure d'acheter des concurrents et s'est montrée impitoyable en acquérant des concurrents avant qu'ils ne deviennent rentables, comme vous l'avez mentionné. Il s'agit de domaines et de problèmes très différents. Je pense que nous avons besoin d'une solution de politique qui puisse prendre en compte ces éléments très différents tout en considérant que ce phénomène numérique possède certains attributs fondamentaux que nous pourrions trouver inquiétants. La dernière difficulté est que, et je me répète, les personnes ici présentes en savent beaucoup plus que moi à ce sujet, la trousse d'outils et le libellé de la politique de la concurrence qui ont été utilisés et ont évolué pendant plus de 50 ans ne cadrent pas nécessairement avec certains de ces attributs. Le concept de préjudice aux consommateurs ne s'applique tout simplement pas facilement aux services gratuits. Nous devrions peut-être élargir le débat à ce sujet également. Je vais en rester là, mais je suis impatient d'apprendre des autres plus que de parler.

Jeanne : Professeur Yoo, vous aurez certainement quelque chose à dire sur les attributs des marchés numériques. Vous les avez étudiés de manière assez approfondie.

Christopher Yoo : Oui. Taylor a vraiment, vraiment bien préparé le terrain à ce sujet. On a tendance à utiliser le terme « géants du Web », qui nous incite en fait à regrouper quatre entreprises, généralement Google, Amazon, Apple et Facebook. Il s'agit donc d'une entreprise de recherche, d'une entreprise de commerce électronique et d'infonuagique, d'un fabricant d'appareils et d'une entreprise de médias sociaux. On s'attend à ce que nous les condamnions toutes en bloc. Taylor l'a très bien exprimé. Ce sont des entreprises radicalement différentes, qui possèdent des attributs différents. Comme vous l'avez mentionné, il s'agit d'une intégration verticale. Nous pensions auparavant que c'était vraiment négatif, mais ce que nous avons appris, c'est que cela dépend du contexte. Parfois, c'est positif. Parfois, c'est l'inverse. Ce dont nous avons vraiment besoin, c'est d'une évaluation plus nuancée et plus empirique pour faire la part des choses.

Comme Jeanne et Melanie l'ont mentionné, les effets de réseau constituent un problème majeur. Il en est fait mention dans le rapport annuel d'AT&T de 1908. C'est un fait qui a été bien reconnu à propos les industries de réseau. Nous avons un nom au sein du service de lutte contre la fraude et de l'application de la loi pour celles qui pensent que prendre de l'ampleur, indéfiniment, est toujours meilleur. On appelle ce concept « opérations pyramidales », qui signifie qu'une entreprise peut continuer de se développer, indéfiniment. En fait, on invoque même qu'il s'agit de rendements décroissants. L'idée selon laquelle toutes les connexions ont la même valeur, et qu'il suffit d'en ajouter une, ne sera jamais vraie.

En outre, il est peu probable que l'idée selon laquelle les effets de réseau fonctionneraient de la même manière dans le domaine de la recherche, des réseaux sociaux, du commerce électronique et des dispositifs en nuage soit vraie. Ce serait une coïncidence remarquable. Nous voyons, dans certains débats aux États-Unis, par exemple dans le rapport du personnel de la Chambre publié par le représentant Cicilline, que Google, Apple, Amazon et Facebook adoptent de mauvaises pratiques. Par conséquent, en général, nous condamnons les plateformes dominantes sans vraiment analyser si certaines d'entre elles sont propres aux industries dans lesquelles elles se trouvaient au départ, puis nous proposons des réformes qui ne modifient pas vraiment les plateformes, mais plutôt les fusions hypothétiques des entreprises de soins de santé et tout le reste.

Ce qui manque vraiment, à mon avis, c'est une analyse rigoureuse, afin d'adapter la politique de la concurrence aux besoins. C'est normalement l'objectif d'une analyse. Vous parlez de cas précis, et non de portraits généraux des choses. Je pense qu'il faut plus de ressources. Qu'il faut peut-être plus d'ingénieurs. Il y a des préoccupations sur la façon dont nous devrions réformer les organismes pour qu'ils s'occupent d'un problème très complexe. Je pense que l'idée présumée que le « vainqueur rafle tout » est inappropriée, car ce ne sera pas le cas. Nous voyons plusieurs sites de voyage survivre côte à côte. Le principe du « vainqueur qui rafle tout » repose généralement sur l'hypothèse que si vous choisissez une option, vous ne choisissez aucune des autres. Personnellement, je regarde mes enfants rechercher les tendances technologiques. Ils sont en permanence sur cinq types de médias sociaux différents, et ce n'est pas une question de choix. En fait, cela rend les voies d'accès beaucoup plus faciles.

Jeanne a mentionné les « mégadonnées ». Je n'aime pas beaucoup le terme « mégadonnées » car, je le répète, il incite à ne regarder que le volume. Ce que nous découvrons, c'est que des industries différentes utilisent des données différentes de différentes manières et qu'il y a plus ou moins d'effet de levier. Un élément commun sur lequel j'ai écrit un peu est la différence entre les données structurées et non structurées. Vous n'avez pas besoin de beaucoup de données structurées. Les algorithmes sont vraiment disponibles. En revanche, en ce qui concerne les données non structurées, il en faut énormément, et vous avez besoin de beaucoup de spécialistes des données pour vous aider à les trier. Si l'on n'établit pas cette distinction fondamentale, on ne peut pas vraiment comprendre comment cela crée un pouvoir de marché.

Je pense qu'il existe une trousse d'outils bien établie, mais la clé est de faire passer les consommateurs en premier. On parle beaucoup du fait que telle ou telle entreprise est désavantagée. Ce que nous avons appris de la politique et du droit de la concurrence traditionnels, c'est que parfois, ce qui nuit aux concurrents est vraiment, vraiment avantageux pour les consommateurs. Une concurrence rigoureuse crée toujours des gagnants et des perdants. Certains peuvent penser que « ce n'est pas juste ». Je comprends cette réaction, mais en tant que responsable de la politique économique, il faut prendre du recul et considérer ce qui est vraiment bon pour les consommateurs, à la fois pour se livrer une concurrence acharnée et se défendre becs et ongles, mais aussi pour accueillir l'innovation et les nouvelles choses que nous ne pouvions pas faire avant et pour repousser les limites. Tous ces aspects doivent être pris en compte.

Jeanne : C'est la manière parfaite d'enchaîner. Beaucoup de gens ont parlé des problèmes que causent les géants de la technologie, mais voyons plutôt les aspects positifs. Quels sont les principaux avantages de l'économie numérique et des plateformes axées sur les données pour les entreprises et les consommateurs canadiens? Taylor, je vous laisse répondre à cette question.

Taylor : Au cours de la dernière décennie, nous avons constaté l'incroyable pouvoir de l'accès à l'information et le type d'action collective qui est rendu possible, tant sur le marché que dans nos vies sociales et politiques, grâce à ces mêmes effets de réseau. Cela ne fait absolument aucun doute. Nous pouvons faire des choses, dire des choses et nous comporter d'une manière qui était totalement inconcevable avant que nous ne commencions à utiliser ces outils. L'envers de la médaille, cependant, c'est qu'il y a une tension entre cet aspect d'autonomisation, que ce soit pour les entreprises dans le domaine de l'innovation ou les groupes d'activistes sociaux dans l'espace d'action collective ou de campagne politique. Nous nous dirigeons dans la voie de l'autonomisation, alors qu'un pouvoir de filtrage et un contrôle importants existent dans la conception des entreprises elles-mêmes. Selon moi, c'est là que nous devons vraiment séparer les pratiques qui sont permises par cette conception et la façon dont elles sont façonnées par celle-ci.

Je pense que, de plus en plus, le débat sur la concurrence devra tenir compte de cette tension. Un algorithme de filtrage favorise-t-il réellement la diversité sur le marché, ou façonne-t-il le marché pour qu'il se conforme aux motivations de l'entreprise qui contrôle l'algorithme? Ce genre de questions sur qui est habilité et qui a le contrôle touche le cœur du sujet de ce en quoi consiste la politique de la concurrence, qui vise à garantir des marchés équitables et une participation équitable au sein de ces marchés.

Jeanne : Je vous laisse la parole, professeur Yoo, pour donner la réplique. Vous pourriez aborder la question de l'innovation et la façon dont la concurrence stimule l'innovation, ainsi que les avantages que cela a apportés d'un point de vue économique.

Christopher : Les avantages sont énormes. Certaines études ont été réalisées pour tenter d'estimer la valeur de l'économie, de l'économie en ligne et de l'économie des applications. C'est intéressant, notamment lorsque l'on pense aux anciennes activités qui sont maintenant plus faciles par rapport aux nouvelles activités. Je suis allé à l'école de commerce. Je suis allé à l'école de droit. On y est entraîné pour réfléchir à la question. Toutes les activités sont tellement plus faciles maintenant. L'exemple que je juge le plus simple et que nous comprenons tous est le suivant : souvenez-vous de quand nous planifions nos vacances avant le monde en ligne; nous devions nous munir de guides et de pages photocopiées et planifier tous nos déplacements et chaque hôtel. Il ne fallait surtout pas que vous soyez coincé dans une ville au coucher du soleil sans avoir d'endroit où loger ni manger.

Maintenant, nous faisons toutes ces choses à la volée et les voyages sont devenus chose facile; il ne s'agit que de la communication entre nous. Le magasinage. Les séances Zoom. Les séances Zoom et le magasinage pendant la COVID ont été un cadeau du ciel. Les possibilités de faire ces activités en ligne. La recherche d'emplois, les informations sur les gouvernements, l'accès aux services financiers, les actualités, les vidéos et le divertissement. C'est incroyablement bénéfique et cela permet aux consommateurs d'être mieux informés à propos des produits, des prix et de la qualité. Toutes ces choses sont assez révolutionnaires.

En outre, nous faisons beaucoup de nouvelles activités que nous n'avions jamais faites auparavant. Les médias sociaux n'existaient pas avant. Le nuage sur les services de soutien n'existait pas auparavant. L'économie du partage, l'envergure du contenu généré par les utilisateurs et les formes d'organisation politique en ligne sont toutes incroyablement importantes. L'accès à l'information sur les nouvelles locales. Toutes ces nouvelles dimensions sont assez étonnantes.

L'autre chose dont nous avons parlé est l'entrée sur le marché et la façon dont les choses ont changé. Je veux y donner une certaine perspective. Lorsque j'ai commencé à enseigner en 1999, il y avait une loi antitrust aux États-Unis qui soulevait un grand problème, soit la fusion imminente d'America Online (AOL) et de Time Warner. Le grand combat était l'accès aux mots-clés d'AOL. Cela semble un peu désuet, mais cela montre à quel point les choses ont changé. À ce moment-là, l'entreprise Amazon avait cinq ans. Google et PayPal avaient un an. Netflix avait deux ans. Facebook, Uber, Spotify et Twitter étaient à des années-lumière de leur existence. Elles ont toutes commencé en tant que PME dans des garages.

Cette forme d'entrée sur le marché était très dynamique. Dans les cours que je donne, je mentionne souvent quelles étaient les dix premières entreprises selon la capitalisation boursière en 1995. En général, les entreprises qui figurent à ce classement ont une centaine d'années. Elles sont vraiment, vraiment anciennes. Il leur a fallu des décennies pour être classées parmi les principales entreprises du monde. Toutes les entreprises qui figurent à ce classement ont entre 20 et 25 ans, et beaucoup d'entre elles ont dix ans ou moins.

Ce que nous constatons, c'est cette vision vraiment dynamique. Par contre, cela ne signifie pas qu'il ne peut pas y avoir de problèmes. C'est possible. Nous devons disposer d'outils conçus pour y faire face. Nous devons nous assurer que nous ne tuons pas les moteurs de l'innovation. L'un des commentaires de Melanie, que j'aimerais vraiment approfondir, concerne l'idée de contenu indispensable ou de plateformes indispensables. La plateforme incontournable de Netflix en tant que distributeur de contenu vidéo a vraiment pris part à cette révolution assez récemment. Ce que vous voyez aujourd'hui, c'est un grand nombre de concurrents qui se lancent dans cet espace et qui sont, en fait, incroyablement diversifiés, qu'il s'agisse de Hulu, de Disney+ ou de HBO Plus.

Ce sur quoi je me concentre réellement, c'est l'existence d'obstacles à l'accès au marché pour voir si cet avantage à court terme va être durable. Nous pouvons en fait effectuer une analyse, en nous assurant qu'il s'agit d'une analyse dynamique et non d'une analyse trop statique. Il est plus facile pour nous de voir si les obstacles à l'accès sont petits. Il s'agit d'un cas où les contrats sont arrivés à échéance, et à ce moment-là, on a observé l'émergence de cette forme très dynamique de concurrence. Nous pouvons y réfléchir de différentes façons. Au lieu de dire que c'est vraiment important maintenant, si on réfléchit à la manière statique, ici et maintenant, c'est un problème, mais si on y réfléchit sur une période de cinq ans avec ces nouveaux entrants, c'est un peu différent.

Dernier commentaire. Taylor, vous avez mentionné que les lois sur la concurrence veulent que les choses soient équitables. Je pense que c'est vrai, mais souvent, en droit de la concurrence, c'est un mot sur lequel nous trébuchons et auquel beaucoup de gens doivent faire très attention. Les choses peuvent être équitables du point de vue des consommateurs, mais beaucoup de plaintes viennent maintenant des concurrents. Certaines pratiques peuvent réellement nuire. Parfois, les concurrents prétendent que la situation n'est pas équitable parce qu'ils n'ont pas fait les investissements nécessaires ou qu'ils n'ont pas eu la clairvoyance ou la capacité d'innover pour faire quelque chose de nouveau. Nous avons besoin d'un ensemble d'outils qui fait la différence entre ces deux cas parce que si nous ne faisons pas cela correctement, nous allons pénaliser beaucoup d'entreprises qui adoptent exactement des pratiques en faveur des consommateurs et de l'innovation que nous voulons, en pensant que « cela a désavantagé un des concurrents qui n'a pas fait les mêmes choix ».

Taylor : Vous voulez dire que l'argument sur l'équité de Facebook ne devrait pas être au centre d'un procès contre Apple?

Christopher : C'est drôle. Une des choses que j'aime, c'est lorsque l'on parle de protéger les petites entreprises et que l'on avance l'idée que Facebook ou Apple ont besoin de notre protection en tant que petites entreprises incapables de se gérer elles-mêmes. C'est quelque chose qui me frappe toujours dans ces débats. Cela mis à part, Facebook a fait beaucoup de choses qui ont été injustes, dont beaucoup ont été trompeuses.

Ils ont eu beaucoup d'ennuis avec les organismes de réglementation américains pour cette raison. Nous avons une façon de traiter la question. Il y a d'autres problèmes pour lesquels la question la plus importante du point de vue du droit de la concurrence, à savoir si cette pratique, de façon globale à ce niveau, commence à affecter le processus concurrentiel. J'enseigne à mes étudiants qu'il s'agit d'une fraude dans le domaine des valeurs mobilières. Les gens mentent sur l'émission d'actions. C'est un crime. Nous avons des lois pour gérer ça. Les gens de la concurrence ne devraient pas s'inquiéter avant que la situation ne devienne si généralisée ou systémique qu'elle commence à menacer le bon fonctionnement du marché des valeurs mobilières, pas seulement pour un émetteur et un groupe d'actionnaires, mais lorsqu'elle devient un problème social. Je pense qu'une grande partie des problèmes d'équité et de ceux liés à la protection de la vie privée dans l'espace technologique sont les mêmes. Nous disposons d'outils de protection de la vie privée et nous les gérons généralement assez bien. Est-il possible qu'une violation de la vie privée soit commise et doive nécessiter l'adoption d'une politique sur la concurrence? Oui, mais pas lorsqu'il s'agit d'un problème banal que nous pouvons gérer différemment.

Jeanne : C'est parfait. Juste un petit mot visant à rappeler aux gens qui ont des questions pour nos experts de lever la main et de les soumettre. Nous avons un peu parlé des choses positives. Melanie, j'aimerais peut-être aborder un peu plus précisément les aspects négatifs de certains marchés numériques. Quels sont les sujets de préoccupation et de débat potentiels?

Melanie : Il y en a beaucoup. Certains d'entre eux font beaucoup plus souvent les manchettes que les effets concurrentiels dont nous avons tous entendu parler, les incitations à la violence et ce genre de choses. Cela dit, je dois avouer que les avocats spécialisés dans les questions antitrust jouissent d'une célébrité inhabituelle et peu familière ces jours-ci, notamment à l'approche des élections américaines et du débat en général. Ce n'est pas mon domaine d'expertise, mais il y a certaines questions qui me semblent nécessiter plus vivement et fortement une intervention publique, notamment sur le plan, par exemple, de l'incitation à la violence. Nous en parlerons peut-être un peu plus tard pour savoir où tracer ces limites, car même celles-ci sont difficiles à tracer.

En fait, on ne voit pas vraiment que les plateformes déploient de très grands efforts pour qu'une réglementation sur l'incitation à la violence et les discours haineux soit instaurée. La définition reste un problème. Je pense qu'en théorie, ces questions sont plus acceptables lorsque l'on commence à resserrer les règles en les appliquant à d'autres types de questions, qui peuvent vraiment enfreindre une limite claire et simple de ce qui est bien ou mal.

Une série de questions qui permettent vraiment de définir les limites. Je pense ici à des choses comme la diversité des voix, les torts causés par les chambres d'écho, et la diminution, évidemment, de la protection de vie privée. Aucun de ces sujets n'est de mon ressort. Je limiterai donc mes remarques aux effets de la concurrence. Je pense qu'ils sont réels, quel que soit le point de vue adopté. J'hésite à m'avancer ici parce que, selon moi, il y aura une discussion importante à avoir à un certain moment à propos de l'objectif. Au Canada, nous parlons de la façon dont nous protégeons le processus concurrentiel. Je ne devrais pas parler pour les États-Unis, mais on y en parle aussi en ces termes, en mettant cependant l'accent sur le consommateur, ce qui n'est habituellement pas le cas au Canada. Nous nous concentrons sur les consommateurs et les entreprises.

Nous examinons le processus concurrentiel et essayons de trouver le réseau qui convient le mieux à ces groupes, tous les groupes confondus. L'une des choses qui m'a frappée dans l'intervention de Taylor, et je comprends entièrement ce point de vue, tout comme beaucoup de personnes du public doivent également le comprendre, c'est que nous sommes confrontés aux défis qui sont de toute évidence les plus importants à certains égards. Il s'agit non seulement de notre volonté de réglementer, mais, en supposant que nous le fassions, également de la manière dont nous nous y prendrons. J'insiste vraiment là-dessus et, je le répète, j'ai un parti pris pour la concurrence, mais la réglementation n'est pas nécessairement le premier choix à faire. Nous avons des responsables de l'application de la Loi sur la concurrence qui possèdent des outils dont ils ont certainement besoin pour continuer à se développer, à prendre de l'expansion et à essayer différentes choses. Ils ont des outils, mais ils n'ont pas suffisamment de ressources. La réglementation n'est pas nécessairement la solution. C'est peut-être la solution pour des choses comme les discours haineux, mais je ne suis pas persuadée, du moins pas encore, que c'est la solution pour les effets concurrentiels. Je pense qu'il est essentiel de définir précisément ce à quoi nous tentons de remédier avant de nous lancer dans la conception d'une solution réglementaire.

Pour en revenir à votre question, Jeanne, concernant les préoccupations potentielles du côté de la concurrence. Nous commençons à en parler. L'esprit d'innovation diminue. Il en résulte un ralentissement de la productivité. Il y a les acquisitions prédatrices, qui pourraient entraîner une augmentation des prix.

Nous avons tous le sentiment que les prix ont baissé. Notre accès et le délai dans lequel nous pouvons réaliser des choses, ainsi que l'éventail de choix dont nous disposons en matière d'achat ou de recherche d'informations sont tout simplement, comme l'a dit Taylor, inimaginables comparativement à auparavant. Imaginez de vivre la pandémie sans les ressources et outils que nous avons maintenant. Songez à quel point votre situation, qui était déjà terrible, aurait été différente, et à quel point elle aurait pu être pire et vous faire sentir encore plus isolé. En fin de compte, les prix pourraient augmenter si personne ne talonnait les gens qui fournissent à ces précieux marchés des idées, des informations et des biens. De même, cela pourrait réduire le choix. Cela pourrait augmenter les possibilités de discrimination par les prix. Cela pourrait diminuer la prise de décision éclairée des consommateurs. Encore une fois, comme Taylor l'a souligné, je pense que c'est une façon vraiment intéressante d'essayer d'occulter la politique de concurrence avec ce qui correspond à d'autres préoccupations politiques. L'idée qu'à la base, ces plateformes définissent les paramètres de l'univers dans lequel les consommateurs font leurs choix. Je pense que c'est une façon intéressante et intrigante d'essayer de relier les deux. Je ne suis pas complètement certaine de vouloir aborder la question, mais je pense que c'est quelque chose dont il vaut la peine de discuter.

Il y a le risque de refuser manifestement l'accès à une ressource précieuse. Ce n'est pas parce que vous êtes désavantagé au niveau des données et que vous pensez que si les marchés sont faussés, et que vous acceptez cela, ils ne vont pas s'autocorriger. C'est là que vous devez essayer d'être très précis sur la nature de la distorsion. Y a-t-il vraiment une distorsion? Dans l'affirmative, de quoi s'agit-il? Comment, le cas échéant, devrions-nous aborder cette question par le biais de la réglementation, par opposition à l'application du droit de la concurrence?

Jeanne : Melanie a donné un aperçu de la manière de traiter certains problèmes, mais vous avez peut-être, professeur Yoo, quelque chose à ajouter sur les problèmes potentiels vraiment négatifs que nous essayons de cerner sur le plan des mesures réglementaires?

Christopher : Il y a des problèmes intéressants, et ce que je veux vraiment souligner, c'est que nous devons bien comprendre les problèmes pour savoir comment les résoudre. La solution doit être adaptée à la nature du problème. Nous devons comprendre s'il s'agit d'un sérieux coup de frein. S'il s'agit d'un léger coup de frein. Ou s'il s'agit d'un coup de volant pour nous orienter. C'est une question importante, car nous avons tendance à regrouper, comme nous l'avons mentionné, les géants du Web dans une seule catégorie ou les mégadonnées dans de grandes catégories. Les autres termes pour lesquels j'ai développé une grande aversion sont « GAAF », « FANG » et « GAFAM », qui sont basés sur les initiales, car ils incitent à faire abstraction de différences importantes.

On en revient à ce que j'appelle la mentalité voulant « qu'être gros c'est être méchant ». Ce que nous avons appris au fil des ans, c'est qu'elle est en fait liée à un vieux modèle en économie « structure-comportement-rendement », qui ne fournissait pas de bonnes données sur le rendement des marchés. Nous ne comprenions pas vraiment comment il était lié aux pratiques. Nous n'avions analysé que la structure du marché. Celle-ci comprenait une grande entreprise et nous en avons déduit que cela mènerait à un mauvais comportement et rendement. Nous avons appris que ce mythe a été largement déboulonné en économie depuis au moins 30 ans. Certaines structures de marché sont très concentrées et n'entraînent pas de mauvais rendement.

Une théorie, appelée « marchés disputables », pour ceux et celles qui veulent y jeter un coup d'œil, dit que c'est le cas. Il y a des marchés déconcentrés qui affichent un très mauvais rendement. Certains modèles d'action directrice en matière de prix peuvent effectivement entraîner cela. Nous avons appris que l'adoption d'autres pratiques fait une grande différence. Ce que nous devons faire, c'est comprendre comment les choses fonctionnent.

Mais nous avons une bête noire : les algorithmes. Nous ne devons jamais oublier que ce sont les algorithmes qui rendent possibles ces énormes avantages. Ils nous permettent de traiter l'information et nous aident dans le domaine de la santé publique, et de toutes les manières possibles. C'est toutefois facile de les diaboliser et cela semble bizarre. Les algorithmes peuvent présenter différents problèmes. Les mauvaises données utilisées pour les former peuvent servir à créer le modèle. Une fois le modèle créé, vous pouvez lui fournir de mauvaises données, ce qui entraîne de mauvais résultats. Nous savons également que les algorithmes ont des propriétés émergentes qui n'apparaissent qu'à grande échelle. Tous les systèmes complexes font des choses bizarres que l'on ne peut pas comprendre en analysant leurs composants. Ces trois éléments distincts mènent à l'échec. Si vous ne comprenez pas vraiment le problème auquel vous êtes confronté et le chemin que vous empruntez, vous risquez de concevoir une solution qui ne résoudra pas du tout votre problème, en essayant de savoir ce qui se passe.

Pour revenir à quelques remarques que Melanie a faites, je suis un peu d'accord avec son scepticisme quant à la solution réglementaire. En fait, j'ai eu l'occasion de rencontrer l'ACCC et le Royaume-Uni sur ces questions, à propos de sujets différents. Je me souviens qu'ils ont tous deux fait une analyse en appelant à la réglementation. J'ai demandé aux représentants de l'ACCC si cela signifiait qu'ils n'avaient pas respecté les normes conventionnelles du droit de la concurrence, car sinon ils auraient intenté un procès. Ils m'ont répondu qu'ils espéraient que personne ne le remarquerait. Si quelque chose ne répond pas aux normes habituelles du droit de la concurrence, l'une des deux choses suivantes doit être vraie : soit les normes du droit de la concurrence sont erronées, soit il ne s'agit pas vraiment d'une pratique potentiellement coupable et nous devons avoir ce débat pour essayer de le comprendre.

Le rapport Furman du Royaume-Uni tire en grande partie la même conclusion, à savoir que nous devons surveiller de près ces deux choses. Il n'y a pas de problème. Si une pratique ne satisfait pas aux normes maintenant, elle le pourrait plus tard. Encore une fois, ils n'ont pas démontré que cette situation nuisait aux consommateurs à ce stade. C'est un problème intéressant. L'autre aspect de la démarche réglementaire est qu'ils invoquent des choses telles que la réglementation des services financiers et des télécommunications sans avoir réellement étudié ces secteurs ni la manière dont cette réglementation a fonctionné dans le passé.

En fait, je suis en train de réunir un groupe d'étude qui se penchera sur ces grandes industries pour en savoir davantage à leur sujet. Aux États-Unis, on a fait une analogie avec la réglementation Glass-Steagall, soit l'ancienne réglementation des services financiers qui a été abrogée. Il existe une documentation financière, empirique, historique, commerciale et juridique bien étayée qui montre que la réglementation Glass-Steagall ne régissait pas du tout ce qu'elle devait. Elle comporte peut-être des forces et des faiblesses, mais nous devons au moins regarder les modèles qu'elle souligne et sur lesquels elle se base pour essayer d'en tirer des leçons avant de commencer à les adopter. Je trouve cela vraiment compliqué.

Dernièrement, pour répondre à un commentaire de Taylor qui s'applique peut-être exclusivement aux États-Unis, c'est que nous avons un problème de diversité des voix, qui a été grandement présent dans le domaine des communications aux États-Unis selon la Federal Communications Commission. Par contre, je trouve que nous adoptons depuis longtemps le Premier amendement qui s'inspire vraiment de John Milton et d'Areopagitica et de John Austin dans les années 1830, stipulant qu'il y a de nombreux éditeurs dans ce monde, lesquels ne sont pas tous inoffensifs. Il y a cependant un acteur qui ne peut pas être éditeur; c'est le gouvernement. L'idée d'utiliser la réglementation pour corriger un marché de discours selon la perspective d'un Américain renverse le Premier amendement. Il s'agit d'une conception particulière de la liberté d'expression qui n'est pas universellement partagée, mais qui anime une grande partie de nos activités. Je pense que même si ce n'est pas un obstacle absolu dans les pays qui sont prêts à aller dans cette direction, c'est au moins un signal d'avertissement ou un signal d'alarme pour tenir des débats. Parce que dans tout cela, nous parlons de deuxième choix. Le remède est-il pire que le mal? C'est une question que nous devons toujours poser, car nous ne devons pas supposer que le processus d'intervention du gouvernement serait parfait.

Jeanne : Je pense qu'on a beaucoup parlé de la définition du problème, mais je vais vous renvoyer la balle, Taylor. Nous avons une vision canadienne particulière de certaines de ces questions. J'aimerais savoir si vous avez quelque chose à ajouter sur l'aspect de la définition du problème.

Taylor : J'aimerais ajouter deux ou trois choses. Je m'appuie sur ces deux commentaires et réponses très intéressants. En ce qui concerne la question du discours, cela montre la complexité d'essayer de gouverner des technologies et des entreprises nationales, finalement mondialisées. Les discours, les histoires et les traditions, ainsi que les lois sont fondamentalement d'ordre national, comme il se doit. Le gouvernement allemand a une conception des discours haineux très différente de celle du gouvernement américain, pour des raisons historiques évidentes. Selon moi, il devrait être autorisé à imposer sa vision des discours haineux et les lois s'y rapportant sur des plateformes basées aux États-Unis et qui s'intègrent à juste titre à bon nombre de valeurs et de principes du Premier amendement du pays dans lequel elles ont été inventées. Cela crée une tension entre la gouvernance nationale et la conception et la nature mondiale de ces entreprises.

L'autre défi qui me vient en tête auquel cet espace est réellement confronté, mais qui devient vraiment clair dès que nous entamons le débat sur la réglementation, c'est que ces entreprises touchent à tellement d'outils réglementaires et d'outils de gouvernance potentiels que les gouvernements doivent décider quels outils ils vont utiliser pour s'attaquer à tel ou tel préjudice. Il y a souvent plusieurs choix et des chevauchements potentiels. Si vous considérez que ce cadre général des politiques doit lutter contre ces préjudices, ou peu importe comment vous souhaitez définir ceux-ci en vertu des politiques de données, nous pouvons prendre une série de mesures pour réglementer ou contrôler la façon dont les données sont collectées et utilisées, pour lesquelles nous avons un ensemble de normes et de principes. Il y a également les politiques sur le contenu, c'est-à-dire toutes les mesures que nous pouvons prendre pour réglementer ce qui est autorisé à être dit dans notre société, ce que nous faisons déjà, ainsi que les politiques de la concurrence. Il s'agit de trois ensembles d'outils très différents qui, dans plusieurs des cas où nous parlons de préjudices, présentent des choix, notamment des choix politiques.

Je pense que le principe qui doit guider ces choix est celui qui permet d'atteindre l'élément le plus structurel du problème. Il ne s'agit pas d'appliquer une politique après coup et d'essayer de régler le problème de manière rétroactive, mais de modifier les motivations dans la conception du système pour obtenir de meilleurs résultats dans ce domaine. Si l'on considère les propos nuisibles ou la désinformation, une façon de procéder est de réglementer les propos, soit ce qui peut être dit, et cela semble être la direction que nous prenons au Canada. Cela n'arriverait jamais aux États-Unis, évidemment. C'est déjà instauré en Allemagne. Nous pourrions pénaliser les entreprises qui encouragent certains propos et contournent les concepts liés à la responsabilité des intermédiaires, lesquels les ont protégés de cette responsabilité. Il s'agit d'un cadre, mais un autre pourrait consister à offrir un plus grand choix sur le marché de la parole numérique. Pour l'instant, si je veux aller sur une autre plateforme que Facebook ou Twitter et ne pas être soumis à la façon dont ces plateformes régissent la parole, je n'ai pas beaucoup d'options. Il se pourrait qu'un manque de dynamisme dans le marché de la parole numérique soit à l'origine de certains de ces défis. Par exemple, les entreprises qui ont un ensemble de valeurs mises de l'avant dans ce type de discours qu'elles autorisent. Ou encore, les politiques en matière de données et de protection de la vie privée. Soit nous démantelons les entreprises qui ont de grands monopoles de données, ce qui serait une approche en matière de politique de la concurrence, soit nous élaborons de meilleures lois sur la protection de la vie privée et espérons que cela résoudra le problème.

C'est la même chose, je pense, dans le domaine de l'innovation. Si nous pensons qu'il y a un manque d'innovation dans l'économie numérique au Canada, nous pourrions financer et encourager les entreprises canadiennes à concurrencer les entreprises dominantes au niveau mondial, ce qui serait un point d'entrée de la politique d'innovation, ou nous pourrions adopter un cadre de concurrence et examiner ou restreindre les fusions et acquisitions d'entreprises canadiennes par ces entreprises étrangères. Ce sont deux façons très différentes de soutenir le même résultat des politiques. Je ne sais pas si mes explications ont embrouillé ou bien résumé la situation, mais je pense qu'une partie du défi est que ces entreprises touchent à bon nombre d'aspects de notre société et d'outils de gouvernance à notre disposition. Les gouvernements doivent déterminer quel est leur point d'entrée pour chaque préjudice particulier dont ils pourraient se préoccuper.

Jeanne : C'est une excellente question. Je vais transformer l'une des questions de notre public en une question que j'avais pour le groupe d'experts. Un de nos fonctionnaires demande quels sont les débats que nous pouvons tenir de façon réaliste au Canada. Dans quelle mesure les résultats sont-ils façonnés par le contexte de la concurrence et de l'antitrust aux États-Unis? De plus, quels sont les domaines de changement potentiel dans la politique de la concurrence et celle à l'égard des consommateurs qui peuvent être pris en compte et faire l'objet d'un débat pour les consommateurs et les entreprises du Canada? Les modifications apportées au droit de la concurrence sont-elles suffisantes? Qu'en est-il de la pertinence de la vie privée, du contenu des discours et de l'accès à la justice, entre autres? Je vais d'abord vous laisser la parole, Melanie, pour entendre votre point de vue sur ce que nous devrions faire.

Melanie : Il y a beaucoup de très bonnes questions. Je pense que je ne vais répondre qu'à l'une d'elles. Il est évident qu'une partie du débat est influencée par notre voisin immédiat le plus important. Par ce dont on parle aux États-Unis, et bien sûr, où l'on est toujours plus en faveur de la réglementation ou à l'aise avec la réglementation de la Commission européenne. En ce qui concerne les affaires très publiques et qui font les manchettes, comme Christopher l'a mentionné, le rapport Cicilline a été publié, ainsi que d'autres initiatives pendant les élections américaines, comme certaines des propositions la sénatrice Klobuchar et d'autres qui ont un peu capté l'attention du public. Elles semblent être de très bonnes idées. Bien sûr, il est très important de ne pas les rejeter ni de suggérer qu'elles n'ont pas fait l'objet d'un processus de réflexion approfondi avant d'être transformées en capsules. Mais il est vraiment important de réfléchir aux avantages et aux inconvénients que présentent ces propositions.

Il y a trois propositions sur lesquelles il faut intervenir. D'abord, segmentez-les. Cette proposition a vraiment fait surface pendant les élections américaines. On en a abondamment parlé. L'idée n'est pas clairement définie, mais elle impliquerait une sorte de séparation forcée des entreprises et de les diviser en des secteurs d'activités distincts. Prenons l'exemple d'Amazon : retirez-lui son nuage, le fait qu'elle héberge des tiers qui vendent ses produits et le fait qu'elle vend ses propres produits. Divisez-la en différentes entreprises et ce pouvoir, en particulier celui de cette passerelle, et cette capacité à tirer parti de l'information seraient supprimés ou atténués dans une certaine mesure et dépouillés de la valeur qui est réellement dérivée de la nature complémentaire de ces secteurs d'activités. La théorie est que les incitations à la vente, les préférences, etc., disparaîtraient.

Pour ceux et celles qui ne sont pas simplement offensés par l'idée même de segmenter les entreprises sans raison valable, et je suppose que je me rangerais de ce côté, il y a de toute façon de vraies questions qui sont très largement occultées par la rhétorique. Encore une fois, je ne veux pas rejeter les études universitaires légitimes qui se sont penchées sur cette question, mais, comme l'a dit Christopher, soit que le fait d'être gros n'a jamais été mauvais ou, pendant longtemps, cela ne l'était pas. L'idée fondamentale « qu'être gros est mauvais » est vraiment ancrée dans le fait de segmenter les entreprises selon certaines politiques que j'ai observées qui ne sont pas particulièrement judicieuses ni fondées sur des principes valables, autres que le simple fait d'être gros, qu'il s'agisse d'une société à personne unique ou non. Cela ne nous plaît pas.

Je pense que les questions vraiment importantes sont les suivantes : quels avantages risquons-nous si nous adoptons cette méthode? Nous avons beaucoup parlé de préoccupations, mais il y a beaucoup d'avantages. Qu'en est-il du choix? Du prix? De l'innovation? De la commodité? Allons-nous risquer de perdre tous ces avantages si nous segmentons ces grandes entreprises? Fait important, les agences de la concurrence ont le mandat de s'attaquer aux pratiques anticoncurrentielles, auxquelles s'adonnent les entreprises dominantes. Il s'agit d'un principe assez universel, formulé différemment, mais existant dans toutes les administrations antitrust établies.

Le financement, comme je l'ai souligné, doit être amélioré. L'application active de la législation à l'encontre des contrevenants qui se livrent à des pratiques commerciales déloyales est sans doute préférable à des outils rudimentaires. Au lieu de prendre un simple couteau à découper. La seconde consiste à interdire ces acquisitions prédatrices, qui ne sont, encore une fois, pas très bien définies, mais une idée serait que si vous avez une certaine taille, vous ne pouvez pas faire d'acquisition d'une entreprise. L'idée est qu'en interdisant ces acquisitions, les jeunes entreprises novatrices à fort potentiel de croissance continueront de lutter et de tester le marché, de prospérer et, finalement, de faire concurrence aux grands.

Ce dont cette théorie ne tient pas compte, entre autres, c'est que la plupart, sinon la totalité, de ces jeunes entreprises ne sont pas créées dans l'idée de s'attaquer un jour aux grands. La motivation même de leur innovation et l'élément fondamental qui attire le capital d'investissement sont l'idée qu'elles généreront un jour des gains. Qu'elles vendront leur innovation et seront intégrées, peut-être, dans une utilisation encore meilleure de leur technologie par un acteur plus important. Que la somme sera supérieure aux parties. Si nous interdisons l'attrait de ce gain, il y a le risque qu'il ne soit jamais réalisé en premier lieu. Ces idées impossibles ne seront jamais explorées parce que les capitaux ne seront jamais attirés par elles pour financer l'innovation nécessaire à leur développement.

La troisième proposition, dont nous avons parlé de manière plus générale, consiste à « réglementer les entreprises ». Il s'agit de l'argument en faveur de la recherche, de l'intervention et de la protection de certains types d'acteurs. Encore une fois, cela constitue une aberration pour la politique de la concurrence. Nous ne protégeons pas les acteurs. Nous protégeons le processus. Nous nous efforçons de protéger un processus concurrentiel en partant de l'idée qu'il sera meilleur pour tous. Mais si nous décidons de le traiter comme un service public, parce qu'il a en quelque sorte basculé au point de devenir effectivement un service public, si on suit la logique, nous serons alors en mesure d'accéder aux avantages pour tous, et pas seulement pour quelques-uns. Ces énormes entreprises seront arrêtées dans leur élan en ce qui concerne le fait de gagner et de bénéficier de leur prétendu statut de monopole.

Cette idée, certes bien intentionnée, a de nombreuses implications, à mon avis. Mais avec tout le respect que j'ai à l'égard de la fonction publique, y ayant passé la moitié de ma carrière, je ne pense pas que le meilleur talent des gouvernements soit nécessairement de choisir les gagnants et les perdants sur le marché. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de place pour la réglementation. Je pense simplement qu'elle doit être abordée de manière incroyablement prudente, et qu'il faut reconnaître que la raison pour laquelle nous avons mis en place des organismes de réglementation chargés de la concurrence est en fait pour nous protéger contre les abus de ceux qui ont un pouvoir de marché dominant ou un pouvoir de marché important. Lorsque les pratiques des entreprises vont trop loin, il existe en fait un moyen d'y remédier. Il se peut que les organismes n'aient pas été aussi efficaces ou aussi actifs qu'ils auraient dû l'être. La solution est de leur donner de meilleures ressources tout en les tenant responsables de l'établissement de points clés comme le préjudice économique. Je peux vous assurer que les organismes antitrust ne manquent pas de volonté pour prendre des mesures, et cela ne devrait pas être le cas, contre les principaux acteurs, quels qu'ils soient. C'est peut-être un groupe dont vous ne voulez pas faire partie, mais en tout cas, je n'ai pas vu de manque d'intérêt pour les poursuivre. Il y a des problèmes de financement, mais s'il y a de la volonté, je pense personnellement qu'il vaut mieux essayer. Il faut les sortir du monde des jeux politiques, dont nous voyons une tonne d'exemples aux États-Unis qui influencent cette discussion, en les remettant entre les mains de ceux qui sont chargés de protéger le processus concurrentiel.

Jeanne : C'est parfait. Je suis vraiment heureuse d'entendre qu'il y a un consensus au sein du groupe en ce qui concerne le fait que nous, les organismes de la concurrence, avons besoin de plus de ressources. Je vais prendre cet argument et l'emmener à la banque. Professeur Yoo, je sais que vous avez un commentaire à faire, mais je vais y ajouter une question de notre public. Nous sommes dans la période de participation du public. Comment trouvez-vous un équilibre entre le soutien à l'innovation et la protection contre les préjudices? Nous avons vu que les médias sociaux ont des effets néfastes quantifiables sur le comportement social et la santé mentale. Où commence et où s'arrête la responsabilité du comportement des utilisateurs en matière de mégadonnées? À vous la parole.

Christopher : Parce que je l'avais en tête, je vais reprendre quelque chose que Mélanie a dit, puis je vais essayer de répondre à la question que vous venez de poser. Il y a en fait une histoire intéressante sur la segmentation des grandes entreprises et la comparaison entre la situation canadienne et la situation américaine. La première chose que j'ai faite lorsque je suis arrivé à l'Université de la Pennsylvanie a été d'organiser une conférence à l'occasion du 25e anniversaire de la dissolution d'AT&T. Eli Noam, professeur de l'université Columbia, a réalisé une étude empirique pour comparer le rendement de Bell Canada à celui d'AT&T. Il s'est avéré que Bell Canada n'a jamais été segmentée et qu'elle a aussi bien réussi qu'AT&T.

Je sais que tout le monde n'aime pas chaque entreprise, mais je veux dire que c'est exactement le genre d'étude à laquelle nous devons réfléchir, qui porte sur des mesures correctives structurelles que les gens doivent appliquer. Elles sont très rarement utilisées. Il y a en fait de la documentation qui montre que cela a eu un impact. Une des choses importantes que Melanie a dites, c'est que les gens espèrent, en segmentant Amazon, par exemple, qu'ils éviteront l'internalisation du flux d'ordres. En fait, il y a un excellent article à ce sujet de mon collègue, Herb Hovenkamp, qui est probablement le spécialiste antitrust le plus respecté aux États-Unis. Il prétend que l'internalisation du flux d'ordres sur Amazon est vraiment, vraiment excellente. Il a cité l'exemple des piles. Eveready et Duracell dominent le marché et les marges bénéficiaires sont énormes. Les marques privées d'Amazon réduisent ces prix et les rendent plus concurrentiels. C'est une question très intéressante pour comprendre l'internalisation du flux d'ordres. Lorsque vous avez un marché de consommation dans lequel l'entrée est faible, cela peut inciter à adopter beaucoup de bonnes pratiques.

L'autre point sur les acquisitions prédatrices avec lequel je suis d'accord, c'est celui où elle mentionne que si l'on bloque les acquisitions, on coupe une partie du marché pour les innovateurs, ce qui va réduire la valeur de ces entreprises. Même s'il s'agit de 10 % de la stratégie de sortie de ces entreprises, de 90 % ou d'un pourcentage intermédiaire, c'est un jeu vraiment dangereux, à moins que vous ne disposiez d'un moyen de trier celles qui vont réussir par elles-mêmes et celles qui sont destinées à être acquises, et de déterminer celles qui doivent être bloquées et celles qui doivent être autorisées.

Android était une entreprise de six employés qui n'affichait aucun revenu lorsqu'elle a été acquise par Google. Il est difficile de dire que nous pouvions prédire à cette époque que cette entreprise deviendrait ce qu'elle est devenue. En revanche, Samsung et Huawei ont toutes deux tenté de revenir en arrière. Ce qu'elles ont fait, c'est revenir au code source original de Linux ou d'Android pour créer leur propre système d'exploitation parce qu'il les inquiétait. Elles ont été incapables de le faire. Il y a une proposition de valeur. Il y a une contribution qui intervient ici et que nous devons prendre en compte.

Maintenant, en ce qui concerne le débat canadien, un point a été soulevé. Deux réflexions rapides. Melanie parle de la protection du processus concurrentiel. Aux États-Unis, il y a une notion de plus en plus large de ce à quoi cela peut ressembler. La notion traditionnelle désigne plusieurs intervenants. Cela nous ramène à Joseph Schumpeter, qui a établi que de multiples intervenants rivalisent pour vendre le même produit sur le marché. Selon Schumpeter, une économie axée sur l'innovation consiste à innover davantage que les autres plutôt que de se faire concurrence. Il pourrait s'agir d'une concurrence pour le marché et vous pourriez voir une dynamique différente s'installer.

L'autre élément intéressant à prendre en compte pour le Canada est de savoir si l'on veut suivre la voie du champion national. Pour moi, l'archétype ici correspond au Japon et à la Corée. Il y a quelques problèmes intéressants avec cela. Ces intervenants ne contestent jamais les actions des organismes parce qu'ils collaborent avec eux et les considèrent comme des amis. Mes amis qui travaillent dans un organisme d'application de la loi aux États-Unis m'ont dit que c'était génial et qu'ils aimeraient que cela se produise chez eux. J'ai dit que le revers de la médaille, c'est que quand ils ont des problèmes, c'est votre obligation de les sortir d'affaires. Si vous êtes un partenaire, c'est pour le meilleur et pour le pire. Si vous voulez vraiment vous lancer dans cette voie, vous devez aller jusqu'au bout. Vous devez aller dans cette direction. Il y a aussi la question de la guerre commerciale, qui consiste en l'adoption de la stratégie coopération-réciprocité-pardon et qui présente le risque est que tout le monde le fasse. Je pense que pour un pays aussi petit que la Corée, qui compte 50 millions d'habitants, c'est difficile. Le Japon compte 120 millions d'habitants. Leurs stratégies sont intéressantes.

En ce qui concerne les solutions quant aux préjudices, il y a une tendance à vouloir que le droit de la concurrence fasse tout pour tout le monde. Il y a également des préjudices liés à la fraude, que nous traitons grâce aux lois sur la protection des consommateurs, qui sont différentes des lois sur la concurrence, ainsi que d'autres effets indésirables. Le sujet qui préoccupe tout le monde aux États-Unis est la « déplateformation » et la liberté d'expression. Je vais dire quelque chose qui n'est pas toujours bien reçu. En fait, j'éprouve actuellement une grande empathie pour Twitter et Facebook, car dans la plupart des cas de liberté d'expression, il existe un moyen sûr de sauter : il suffit de s'éloigner du bord et de ne rien faire. Actuellement, elles seront touchées si elles n'exercent pas un pouvoir discrétionnaire suffisant à l'égard de la rédaction sur leur fil et elles seront touchées si elles en exercent trop. Elles doivent atteindre un point d'équilibre dans un monde où chaque personne a des conceptions très différentes de ce en quoi il consiste. Si elles avaient « déplateformé » des candidats avant l'élection ou dans l'intervalle entre l'élection et l'insurrection du 6 janvier, les réactions auraient pu être très différentes.

À un certain niveau, cependant, le revers de la médaille de l'approche américaine de la liberté d'expression est qu'elles peuvent « déplateformer » en tant qu'entreprise privée sans aucune conséquence négative. Pourquoi? Le pouvoir discrétionnaire à l'égard de la rédaction leur revient entièrement pour décider ce qu'elles doivent faire, et elles servent en fin de compte leurs clients. Que les clients le veuillent ou non, cela fonctionnera ainsi. Passez à travers toutes ces imperfections parce qu'elles ne sont jamais parfaites dans ce domaine et qu'elles sont toujours lentes et en retard. Il y a une certaine vertu à cela. J'ai cependant le sentiment que, lorsqu'il s'agit de marchés de la parole, à moins d'avoir une notion solide et robuste de cette version idéalisée du marché de la parole, vous allez forcer les gens à faire des choses qu'ils ne veulent pas faire, ce qui vous met en porte-à-faux avec la notion que nous avons de la théorie libérale, qui essaie de donner aux gens le pouvoir de faire et dire ce qu'ils veulent. C'est ce que vous voulez faire. Ce n'est pas tout à fait exact. C'est un choix difficile. C'est l'une des raisons pour lesquelles les États-Unis ont toujours pris les mesures qu'ils ont prises.

Taylor : J'aimerais intervenir. Le véritable problème de la concurrence au niveau de la parole aux États-Unis n'est pas la réglementation gouvernementale ou même ce que Twitter et Facebook ont fait, mais plutôt la « déplateformation » du pouvoir d'Amazon Web Services qui, qu'on le veuille ou non, offrait une proposition de valeur très différente sur les règles de la parole et s'avérait un concurrent légitime à la façon dont Twitter décidait de modérer la parole. Peut-être qu'avoir une douzaine de ce genre de concurrents permettrait au marché d'offrir aux consommateurs le choix du type de règles de parole auxquelles ils veulent se soumettre ou des espaces du monde numérique auxquels ils veulent participer. Je pense qu'un mouvement parallèle se produit parmi les grandes plateformes, que certains appellent des « cartels de contenu », où elles s'entendent essentiellement entre elles sur la manière de prendre certaines de ces décisions controversées en matière de parole afin qu'elles forment un pacte. À mon avis, il y a un certain risque là aussi du point de vue du marché.

Christopher : Si le problème est la collusion, nous devons nous y attaquer, ce que les organismes de réglementation chargés de la concurrence antitrust maîtrisent parfaitement. S'il s'agit du problème, on s'attaque à celui-ci. Ce qui est intéressant pour moi, c'est qu'Amazon, de notre point de vue, ne devrait pas avoir à faire des affaires dans un cadre équitable; cela lui cause du tort, peu importe avec qui. Le réseau social Parler a disparu en quelques semaines. Il a trouvé un autre fournisseur de service infonuagique qui était prêt à le prendre en charge. S'il est déphasé, c'est le moyen de renforcer la concurrence dans un espace qui, franchement, en aurait besoin d'un peu plus. L'idée est que s'il a des options, cela causerait un dommage structurel à ce marché. Puisque je suis aussi membre de l'Annenberg Public Policy Center, j'ai accès à un ensemble de documentation de communication beaucoup plus étayé, qui fait mention que la vérité ne sort pas toujours. Une merveilleuse étude de Kathleen Hall Jamieson, ancienne doyenne et directrice actuelle du Annenberg Public Policy Center, a montré que la meilleure solution aux faux discours, soit les discours biaisés, n'est pas la vérité, mais un discours tout aussi biaisé dans l'autre sens. Empiriquement, si c'est vrai, c'est une idée terrifiante, mais c'est peut-être vrai. C'est une question que le droit de la concurrence n'est pas en mesure de traiter, car elle porte sur l'incapacité de la population en général à traiter l'information correctement. Nous faisons grandement confiance aux individus qu'ils y parviendront avec rigueur. Tout le système est basé sur ce principe. C'est pourquoi nous avons des élections. Si ce n'est pas vrai, il faudra une théorie normative assez solide pour savoir ce qu'il faut faire.

Jeanne : C'est une discussion fascinante. Nous allons manquer de temps et je veux m'assurer que nous répondrons à certaines des questions du public. Il est encore temps de soumettre des questions. N'hésitez surtout pas à le faire. Une question vient d'être posée. La position en faveur des consommateurs par rapport à celle en faveur des concurrents me touche particulièrement. Que pensez-vous de la rémunération de base? Par exemple, il est difficile actuellement pour les artistes de tirer un salaire décent de leur travail, tandis que les consommateurs bénéficient d'un flux quasi inépuisable de contenu gratuit. Est-il possible d'équilibrer les intérêts des consommateurs et des petits producteurs de contenu? Qui veut répondre à cette question?

Melanie : J'ai l'impression que vous me regardez. Oh, d'accord. Allez-y, Christopher.

Christopher : Vous nous regardez tous parce que nous regardons droit devant nous. Il y a une approche économique à cet égard, qui n'est pas le contenu gratuit. Il s'agit d'un contenu financé par la publicité et les marchés publicitaires ont leur propre parti pris. Croyez-le ou non, lorsque j'ai commencé à enseigner il y a 22 ans, j'avais entrepris d'écrire sur l'industrie de la télédiffusion d'une manière qui semble remarquablement désuète aujourd'hui parce que ce n'est plus si important.

Il y a énormément de documentation à ce sujet. Les industries financées par la publicité sont biaisées. Elles sous-financent le contenu. Elles font un tas de choses différentes. De plus en plus de journaux tentent de mettre en place des verrous d'accès payant. Plusieurs journaux aux États-Unis ont réussi, le plus important étant probablement le Wall Street Journal. Toute la vision du contenu financé par la publicité des journaux s'est construite sur les circulaires publicitaires du dimanche pour les épiceries et les grands magasins, les avis juridiques et les petites annonces. Aucun de ces éléments n'a de rapport avec le contenu, et tous sont probablement présentés plus efficacement par d'autres moyens sur Internet que dans les journaux.

Nous avions cette structure vraiment bizarre dans laquelle nous financions le contenu par d'autres moyens, et nous allons devoir créer un nouveau système. Il existe beaucoup de documentation sur la télévision payante par rapport à la télévision financée par la publicité. La télévision payante, si vous regardez HBO et les Emmy Awards, est tout simplement bien meilleure, de meilleure qualité, et cela tend à fonctionner ainsi. Je pense qu'il y a un argument pour essayer de changer la façon dont nous procédons, ce qui permettrait de faire beaucoup plus. Vous pouvez générer beaucoup plus de revenus avec une base de clients plus petite grâce à un modèle commercial différent.

Malheureusement, nous y pensons en tant qu'entreprise de médias, de recherche ou de médias sociaux. En fait, je pense qu'il faut suivre l'argent et considérer ces entreprises comme des agences de publicité, les comprendre ainsi et analyser les marchés de cette façon, car franchement, il ne s'agit pas vraiment de fournir une recherche, mais plutôt des téléspectateurs. Quelle que soit la façon dont vous pouvez le faire, c'est probablement une meilleure façon d'y penser, qui pourrait permettre de restructurer le secteur de manière positive. Je pense que nous voyons dans beaucoup d'industries créatives de nouveaux moyens pour les artistes d'atteindre les marchés comme ils ne l'ont jamais fait, sans dépendre des studios de cinéma ou des maisons de disques, entre autres, qui ne sont pas faciles à accéder, mais qui sont plus variés et plus ouverts de manière à ce que les gens commencent à les utiliser à leur avantage.

Jeanne : Melanie, voulez-vous ajouter quelque chose?

Melanie : Je suis d'accord avec le fait qu'il y a maintenant plus de plateformes. J'aimerais cependant ajouter une chose avec laquelle Christopher, pour être juste envers lui, ne sera peut-être pas d'accord. Peut-être que je comprends cette question d'une manière qui n'était pas prévue. Lorsqu'il s'agit d'artistes, de contenu et de contenu canadien, ainsi que de certaines de ces questions qui ont certainement été importantes au fil des ans au Canada, je pense que la chose vraiment utile est de prendre ce que Christopher nous dit et de le comprendre comme la base. Suivez l'argent. Comprenez la situation. Ensuite, dans la mesure où vous avez un objectif politique qui entre en conflit avec cette façon de penser ou qui ne s'inscrit pas dans celle-ci, il est parfaitement légitime de s'y opposer. Personnellement, je n'y crois pas et je pense que la demande doit être le moteur de la production de contenu, mais ce n'est que mon point de vue. Ce n'est pas l'avis de beaucoup de Canadiens. Dans la mesure où il existe une volonté politique de faire en sorte que cet espace pour ces artistes et pour ce contenu soit parfaitement légitime, il suffit de le concevoir d'une manière qui comprend ce à quoi vous avez affaire comme point de départ, afin de vous puissiez vous adapter et atteindre les objectifs que vous vous efforcez de réaliser.

Jeanne : C'est parfait. Il y a une question qui est un peu reliée à l'interface dans notre économie et qui porte sur la politique industrielle par rapport à la politique de la concurrence. Il s'agit d'une autre question de notre public. Si le marché numérique désigne de plus en plus un seul ou un petit nombre de gagnants, comment les décideurs canadiens devraient-ils envisager de soutenir les entreprises en démarrage et d'aider les entreprises à être concurrentielles sur la scène mondiale? Voulez-vous commencer, Melanie?

Melanie : Je ne rendrai probablement pas justice à la question. Oui, nous sommes petits, mais si nous choisissons les domaines auxquels nous pouvons consacrer un soutien innovant, nous le faisons. Nous ne réussissons pas toujours, mais dans la mesure où nous essayons de le faire précisément aux endroits où nous pensons avoir le plus grand avantage potentiel, comment cela ne pourrait-il pas être bon pour tout le monde? Il ne s'agit pas d'encourager les champions nationaux, pas du tout, mais plutôt de financer l'innovation qui peut ensuite trouver sa place dans une utilisation ou un secteur plus large ou tout autre application qui lui donne une valeur supplémentaire. Ce n'était pas vraiment une réponse. Je suggère que nous ne baissions pas les bras en nous disant que nous sommes éliminés parce que tout le monde est plus grand. Je pense que nous le faisons encore, mais nous essayons de trouver les domaines spéciaux dans lesquels nous sommes vraiment bons et nous tentons de les soutenir et de mener une véritable politique industrielle. Il n'y a rien de fondamentalement mauvais à cela. C'est juste que selon moi, nous voulons le faire prudemment.

Jeanne : Taylor, on dirait que vous avez quelque chose à dire.

Taylor : Notre politique de radiodiffusion est assortie, comme l'a souligné Melanie par rapport au contenu, d'un ensemble d'objectifs qui ont été élaborés pour une ère industrielle différente, et nous pouvons débattre de la question de savoir si nous devrions avoir des politiques de contenu protectionnistes au Canada ou non. Il est évident que celles que nous avons ne s'appliquent pas vraiment à l'écosystème numérique dans lequel nous créons, distribuons et vendons actuellement du contenu. Il y a presque deux éléments à prendre en compte ici. Devrions-nous adopter cette politique protectionniste? Et si nous le faisions, comment y parvenir dans une économie intangible? On les confond souvent et il en va de même pour la politique industrielle. La question se pose de savoir dans quelle mesure nous devons privilégier les acteurs canadiens dans notre économie. Il s'agit ensuite de savoir comment y parvenir, si on le souhaite, dans la structure actuelle de l'économie numérique. Nous nous retrouvons avec des tensions réelles entre une politique industrielle d'IDE, qui essaierait clairement d'inviter les plateformes à investir au Canada, et une politique de soutien aux entreprises canadiennes qui doivent rivaliser avec ces entreprises étrangères désormais subventionnées pour attirer les talents et les ressources dans l'économie canadienne. Il y a une tension mutuelle. Cela ne facilite pas la conversation. Parfois, nous confondons les objectifs de ces politiques et la question de savoir si nous devrions les mettre en œuvre ou non de la même manière que nous les appliquons dans l'économie numérique actuellement.

Jeanne : Professeur Yoo.

Christopher : Être gros n'est pas toujours mieux. Facebook a commencé dans une chambre de résidence universitaire. Google a essayé de la faire disparaître. Combien d'entre vous étaient sur Google Buzz ou Google+? Elle a essayé quatre fois. Elle a échoué. Mon instinct me dit qu'il y a de bonnes idées qui en sont sorties et je pense qu'il y a quelque chose à propos des incubateurs d'entreprise. Ce qu'il y a de bien avec Internet, c'est que vous n'êtes pas limité à un marché canadien. Si vous avez une idée, vous pouvez en fait toucher un public très large et pénétrer les marchés mondiaux ainsi. Beaucoup d'entreprises le font. Ce qui me fascine, c'est qu'il existe des études sur les jeunes, comparant l'Europe et les États-Unis. Deux tiers des jeunes Américains pensent qu'ils créeront une entreprise au cours de leur vie et un tiers des jeunes Européens le pensent. Le fait de leur permettre de le faire et de leur donner les moyens d'y parvenir peut être la voie à suivre si vous voulez adopter une politique industrielle. C'est peut-être plus prometteur parce que l'autre solution consiste à injecter de l'argent de manière descendante. L'Union européenne le fait tout le temps, pour autant que je sache, avec un succès très, très limité, voire nul.

Jeanne : C'est parfait. Nous n'avons plus beaucoup de temps. Il nous reste environ trois minutes. Je vais demander à chacun d'entre vous de dire un dernier mot avant de vous remercier.

Christopher : Puisque mon micro est encore ouvert depuis ma dernière intervention, je vais commencer. Je dirai simplement qu'il s'agit d'un domaine incroyablement complexe et que nous ne sommes qu'au début d'un très long débat. J'encourage les gens à réfléchir à quelque chose que l'on m'a toujours appris à faire en tant que jeune universitaire. Que pourriez-vous me montrer qui me ferait changer d'avis? Parce que si la réponse est « rien », alors nous n'aurons pas grand-chose à discuter. Il s'agit de politique. Vous irez voter et c'est très bien. La question la plus difficile est de comprendre les choses que nous devons mieux comprendre et de déterminer les aspects que nous devons mieux étudier, parce qu'il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas et qu'il y a une réelle tendance à traiter le problème en agissant d'abord, puis en réfléchissant après coup. Je pense que c'est agir à l'envers et que nous pouvons prendre le temps d'essayer d'élaborer une meilleure politique en y réfléchissant de manière plus systématique.

Jeanne : Melanie.

Melanie : Bien sûr. Je pense la même chose. Ne sautez pas. Ne paniquez pas. Ne vous précipitez pas sur la solution réglementaire. Nous avons la chance d'avoir un service public incroyablement compétent et capable d'étudier ces questions. Nous sommes en fait très ouverts d'esprit. J'ai toujours admiré cela au Canada. Nous regardons la situation en l'Australie, la situation ici, et la situation ailleurs. Nous ne nous contentons pas de suivre aveuglément une tradition. Je pense que nous devons préserver et protéger cette approche. Lorsqu'il s'agit d'envisager une réglementation, il faut vraiment s'assurer que nous connaissons la cible et que nous avons une définition précise du problème, ainsi qu'une solution réglementaire précise et soigneusement conçue, dans la mesure où elle est nécessaire. Sinon, il vous suffit de donner plus d'argent à Jeanne. C'est bien. C'est très bien.

Jeanne : Taylor.

Taylor : Oui. J'ai une petite chose à ajouter à cela. Nous ne sommes pas seuls à avoir cette conversation avec des pays qui essaient de comprendre comment évoluer et comment gouverner dans le domaine numérique. Oui, nous sommes excessivement influencés par notre proximité avec les États-Unis, mais de nombreux pays de taille similaire explorent également cette voie. Une partie de ce qui est intéressant dans cet espace de gouvernance en ce moment est que différents pays expérimentent différentes approches. Il y a énormément à apprendre de ce que font les autres pays et de la façon dont nous pouvons les imiter et même collaborer. Je pense que l'espace de la politique de la concurrence est mûr pour davantage de cela.

Jeanne : Je tiens à tous vous remercier pour l'excellente discussion que nous venons d'avoir, avec des points de vue différents, sur des questions auxquelles nous sommes confrontés tous les jours ici au Bureau de la concurrence, et les choses s'accélèrent. Ce dynamisme et cette innovation sont une bonne chose, mais présentent quelques défis à relever. Le fait d'avoir plus d'argent pourrait aider, mais il y a encore des défis importants pour nous. Je pense que c'est un débat clé à un moment clé. Cette pandémie qui dure depuis dix mois également. Je tiens à remercier chacun d'entre vous. Merci également à notre public qui nous a envoyé des questions très intéressantes pour alimenter notre conversation. Je tiens à faire une annonce pour la prochaine activité de la série, qui aura lieu en avril, et qui portera sur l'économie de l'attention. Nous espérons que vous vous joindrez à nous. Sur ce, je vous remercie de votre attention pendant la dernière heure et quart. Je vous souhaite une bonne journée. Au revoir.

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